Illustratrice, nomade par excellence

Ah ! Comme j’aime sortir mes crayons, mes pinceaux, ma gomme toute douce et des pages blanches, propres, que je vais couvrir, tâcher, biffer, remplir. Ces outils sont promesses d’heures créatives, plongée dans mes pensées je me concentre sur ma main qui dessine ! Ce n’est pas pour rien que j’ai choisi le métier d’illustratrice, et que je cherche à garder une grande partie de ma pratique artisanale, sans PAO (production assistée par ordinateur, le terme semble déjà si désuet.)

Quand dessiner rime avec liberté

Il y a encore 4 ans, j’étais déjà freelance depuis une bonne dizaine d’année, graphiste multi casquette, et cela incluait la casquette d’illustratrice pour certains projets. Je pensais qu’en diversifiant les compétences j’attirais plus de clients et que j’assurais mieux mes revenus. Mais quand je suis devenue maman, cheffe de projet confinée, et en préparation d’un grand voyage (2 ans en bateau), j’ai cru que j’allais perdre la tête !

Je me suis concentrée sur ce qui avait le plus d’importance pour moi dans mon travail, à savoir cultiver un savoir-faire technique de plus en plus abouti et une réelle indépendance. Petit à petit j’ai sélectionné uniquement les projets axés sur l’illustration, puis j’ai achevé ces travaux, confié mes clients à des amies graphistes, afin d’être libre de tout engagement le jour du grand départ. Sacré travail, mais quelle chance de faire un tel « reset » dans sa vie professionnelle.

Nous sommes partis en voyage sans travail. J’avais pour seule ambition celle de tenir un journal de bord, écrit et illustré et de progresser dans ces disciplines qui me sont chères.

Je dessine souvent sur des supports de taille standard (A4 ou A5), au trait et à l’aquarelle ou aux crayons de couleurs, si bien que mon atelier rentre parfaitement dans mon sac à main. Sur le bateau je possède une planche lumineuse, un scanner de poche et un ordinateur pour finaliser certains dessins. Les bienfaits de ce mode de vie et de dessin sont immédiats : moins d’écran, moins de connexion, de communication. Je ressens plus de place dans mes yeux et dans ma tête.

Le dessin, une discipline qui se partage allègrement

Dès la mise à l’eau de Vagabond, notre bateau, et les derniers préparatifs, j’ai commencé à dessiner et à partager nos péripéties sur des réseaux sociaux. Le petit format, la régularité des publications me semblent adaptées à un journal de bord. A condition de garder une honnête et franche liberté vis-à-vis des réseaux sociaux, et de ne pas confondre partage et auto-promotion, il est bon de publier et d’échanger avec les personnes qui nous suivent. C’est encourageant, motivant, cela fait progresser. Nous ne voulions pas montrer à des gens que nous ne connaissons potentiellement pas des photos qui pour nous sont de l’ordre du privé, alors le dessin est une parade idéale.

Par ailleurs, directement autour de nous, c’est aussi un très bon moyen de partager avec les gens. Les locaux sont souvent curieux de savoir ce que je dessine dans les pages de mon carnet. Les enfants bateau, et même leurs parents parfois sont friands d’une session dessin à bord ou à terre, j’ai donc tenu mes premières « classes de dessin » ! Encore un aspect de ce métier qui pourrait être nomade si j’essayais d’organiser des stages de carnet de dessin itinérants lors de croisières par exemple.

Le dessin est particulièrement propre au partage car il est souvent le résultat d’un moment de joie, d’émerveillement, et qu’il montre une interprétation du réel. C’est un point de vue, autour duquel il peut être intéressant d’échanger.

Repenser ma vie d’illustratrice

J’étais donc partie en septembre 2021 avec deux intentions : celle de ne pas travailler pendant quelques temps, et celle de me former techniquement en dessinant très régulièrement. Il y a eu malgré tout 4 commandes, une par mois, avant l’arrivée en Martinique et la naissance de notre second enfant. C’est si difficile de dire « non » ! Les pages de carnets se son également bien remplies, et j’ai même gardé pas mal de pages blanches en me disant que je comblerai ces vides… J’ai arrêté de faire cela, forte de cette leçon : « Ce qui n’est pas fait, n’est pas fait ! » Et il n’est pas bon de toujours le reporter au lendemain. Bien sûr, en vivant à bord avec enfants et mari, en mouvement d’un mouillage à l’autre, mon temps ne m’appartient plus vraiment, et les travaux que je réalise ne dépendent pas seulement de ma propre volonté !

J’ai donc continué pour mon plaisir, sans enjeu particulier. Puis nous avons décidé de continuer la route dans le Pacifique. Folie raisonnable, car nous en avions la capacité et le désir, mais nos finances nous promettaient 2 ans de vie sans travailler, et il nous faudrait tenir environ 8 mois de plus. C’est pourquoi à l’arrivée à Tahiti, j’ai pris mon bâton de freelance et je suis allée frapper aux portes d’agences et de maisons d’édition. J’ai travaillé sur de superbes projets (Salon du livre de Moorea, magazine Reva…), et j’ai été très reconnaissante envers mon métier de me permettre un retour au travail si facilement !

Le « must », ce sont les projets personnels que j’ai développés en Polynésie : le livre Bon voyage Agathe !, la Carte illustrée de Polynésie française et le Petit lexique tahitien illustré. Ces projets sont à présent diffusés dans des galeries des îles polynésiennes et m’assurent un modeste mais récurent revenu. C’est finalement cette piste que j’ai le plus le désir de creuser ! Croire en ses projets personnels et les voir se concrétiser, voilà ce qui m’a jusqu’à maintenant procuré le plus de plaisir et de liberté.

Et demain ?

A l’ère de Mid Journey, seul le travail manuel justifie le besoin de créer encore des images. Je ne crois pas qu’un ordinateur puisse dessiner comme moi, jusqu’à présent. Ma main, si je l’entraîne comme une sportive de haut niveau, et mon cerveau relié à elle, le style unique que donne leur combinaison, sont mes remparts. En reprenant ma liberté dans ma vie professionnelle, j’ai découvert les véritables enjeux de mon métier, et de quelle manière je souhaitais m’épanouir dans ce travail. Je vais donc continuer à dessiner !

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